Nous assistons aujourd’hui au deuxième tour de l’élection présidentielle dans la République islamique d’Iran. Quel que soit le résultat final, les Iraniens savent désormais deux choses. Premièrement, il est improbable que leurs votes soient comptabilisés correctement, et ce, sur la base des déclarations du ministère de l’Intérieur du régime, responsable du déroulement des élections. Selon ce dernier, qui, par ailleurs, a tiré la sonnette d’alarme sur l’intervention électorale massive des miliciens, la fraude au second tour dépassera probablement celle observée lors du premier tour du scrutin.
Deuxièmement, peu importe celui qui sera «élu», le nouveau président ne pourra qu’exécuter les souhaits d’un Guide suprême non-élu : la République islamique est une théocratie dont la Constitution nie la souveraineté du peuple, laissant, en dernier ressort, le pouvoir législatif entre les mains d’un Conseil des Gardiens dominé par ceux nommés par le Guide suprême. Comme représentant de dieu sur terre, le Guide suprême incarne la souveraineté avec des pouvoirs étendus sur les forces armées, les médias électroniques, la collecte des revenus du pétrole et ceux provenant d’autres sources, ainsi que sur bien d’autres leviers du pouvoir.
Il y a huit ans, bon nombre d’Iraniens ont voté pour l’actuel président dans l’espoir d’une réforme de l’anachronisme théocratique en vigueur. Lors de deux scrutins ultérieurs, ils ont donné leur confiance à ses alliés, leur confiant le sixième Parlement ainsi que la plupart des conseils régionaux. Avec un Parlement verrouillé par les durs de régime et un président qui ne sera élu qu’avec une fraction des voix dont bénéficia Khatami en son temps, il convient de se demander sur la base de quels arguments les espoirs d’une réforme de la théocratie seraient fondés ? Ne faut-il pas se demander à quoi bon voter si le décompte est défaillant ?
La réponse de ceux et de celles qui soutiennent l’ancien président et l’homme fort du Conseil de discernement, Rafsanjani, est que, en l’absence d’une participation des électeurs, le pays se trouverait en face d’un religieux fasciste qui bâillonnerait les libertés et enflammerait les tensions internationales par un soutien plus actif encore au terrorisme.
Au moins, les Iraniens qui se font l’avocat du diable reconnaissent faire le choix du mal. Là où le bât blesse, c’est de voir des médias occidentaux décrivant Rafsanjani comme la panacée contre tous les maux dont souffre l’Iran, qu’il s’agisse de l’isolement du pays, du terrorisme, ou du nucléaire.
Il est vrai que Rafsanjani a besoin de convaincre le Guide suprême qu’il est l’homme de la situation, celui qui sera capable de contenir la colère grandissante de l’Occident. En quoi celui qui fustigea l’opinion internationale et préconisa l’utilisation de l’arme nucléaire comme «solution au problème israélien» est-il, aujourd’hui, l’unique espoir pour désamorcer la crise nucléaire. En vertu de quoi cet homme qui fut déclaré coupable par un tribunal allemand pour conspiration de meurtre, et fait l’objet d’un mandat d’arrêt international est-il devenu, du jour au lendemain, un «modéré» ?
Nous devons voir au-delà du court terme. L’ardeur révolutionnaire des premiers jours de la République islamique est bien loin. Loin également, les années de la guerre contre l’Irak, et celles de l’illusion de la réforme ou encore de l’espoir de modérer les jusqu’au-boutistes de la théocratie.
Aujourd’hui, l’Iran est mûr pour le changement. Avec une soudaineté stupéfiante, une nouvelle génération d’Iraniens émerge, celle qui rouvrira mon pays au monde et rétablira sa grandeur. C’est avec la plus grande affection que je porte, depuis mon enfance, à la France et à la civilisation française que j’exprime ici l’espoir de voir cette nouvelle génération d’Iraniens considérer la France comme un ami crédible et fiable.
Mais c’est aujourd’hui que les fondements de cette amitié doivent être posés. La classe politique française doit introduire au coeur même de ses négociations avec le régime islamique, un soutien sans équivoque aux droits de l’homme et à la démocratie. Un tel engagement aura le double avantage de mériter le respect du peuple iranien, témoin ainsi de l’attachement de la France à ses propres valeurs fondatrices, et de faire plier la République islamique, confrontée ainsi à la menace du «gros bâton».
La France, après avoir passé plus d’un an et demi dans des négociations infructueuses avec un régime politique dont les principales composantes s’enrichissent dans l’opacité des marchés noirs et des transactions douteuses, devrait être en mesure de déduire que la perspective d’une admission prochaine au sein de l’Organisation mondiale du commerce ne saurait impressionner ceux pour qui la transparence comptable équivaudrait à la mort économique. Le système iranien ne serait pas non plus mis à mal par les menaces du Conseil de sécurité des Nations unies, car les «théocrates» de Téhéran savent très bien que la solvabilité financière de l’establishment nucléaire russe et la stabilité énergétique à long terme de la Chine dépendent d’eux.
Dans un tel contexte, seule une pression forte sur le dossier des droits de l’homme et de la démocratie en Iran est à même de faire plier les instances sécuritaires du régime islamique, c’est son talon d’Achille.
Un jour prochain, bien plus tôt que d’aucuns ne le pensent, mon pays sera libre. Pour les générations futures sera gravé dans la mémoire collective de l’Iran le souvenir de ceux qui prirent, aujourd’hui, la décision de lui venir en aide, et de ceux qui décidèrent de s’en détourner.
* Fils aîné de Mohammed Reza Pahlavi, dernier chah d’Iran.